Dompteuse de plantes
Il y a de ces gens dont le destin semble tracé depuis le tout premier jour. C’est le cas d’Annie Claessens. Venue au monde à Léry, sur le bord du lac Saint-Louis et de la Route 132, la jeune fille a grandi entre la réserve faunique des îles de la Paix et le Centre écologique qui porte le nom du célèbre biologiste Fernand Seguin. On croirait presque que c’est par osmose qu’Annie est elle-même devenue biologiste.
Chercheure en génétique des plantes fourragères et en biomasse pour le compte d’Agriculture et agroalimentaire Canada, la diplômée de McGill compte 46 publications scientifiques à son actif. Depuis dix ans, Annie travaille d’arrache-pied pour donner une chance à la luzerne, à la fléole et à plusieurs autres types de graminées de mieux résister à nos hivers changeants, à la sécheresse, à l’augmentation du CO2 et aux maladies radiculaires. Elle est tellement attachée à ses racines, que c’est à Saint-Nicolas – encore et toujours en bordure du fleuve et de la 132 ! – qu’elle mène ses travaux en collaboration avec un groupe multidisciplinaire pour qui la microbiologie des sols et l’alimentation des animaux font aussi partie de l’équation.
Chose certaine, pour s’attaquer aux spécificités de chaque plante, pour trouver les marqueurs nécessaires pour obtenir des cultivars qui sont mieux adaptés aux besoins des producteurs, il ne faut surtout pas avoir le souffle court. Cela exige de dix à quinze ans d’efforts en pollinisation croisée pour espérer mettre le doigt sur le caractère et le phénotype qui permettra d’aboutir à la sélection que l’on cherche à implanter. Et c’est sans compter un bon cinq ans de recherche fondamentale au préalable. Il s’agit d’un travail de très longue haleine. Impatients, prière de s’abstenir !
« Ce n’est pas seulement une plante qu’il faut trouver, mais toute une population. On doit sélectionner plusieurs spécimens qui ont le caractère désiré et qui sont capables de le passer à leur descendance. Pour que cela se produise, on a besoin de plants qui possèdent le plus grand nombre d’allèles possible. Quand on parvient à obtenir quatre allèles pour chaque gène, on sait que la descendance de la plante maintiendra le caractère que l’on veut voir se transmettre. C’est tout un défi. »
Annie Claessens cherche même à dresser ses graminées à hiberner plus tardivement à l’automne lorsque la lumière diminue. Elle les force à pousser un peu plus longtemps dans la saison tout en stockant des réserves pour passer l’hiver. Par ailleurs, ce n’est pas parce qu’elle a la dent sucrée qu’Annie veut aussi faire en sorte que la luzerne augmente sa concentration en glucides. Elle souhaite que la bonne croissance des plantes se répercute sur la santé animale, la composition du lait et la production de la viande.
Charité bien ordonnée commençant par soi-même, on comprend mieux une partie de son intérêt pour ses recherches quand on sait qu’Annie Claessens possède avec son conjoint Patrick Soucy, la ferme laitière Phylum. Pas moins de 60 belles jerseys traitées aux petits oignons avec des herbes bien grasses. Des graminées enrichies qui font ronronner les microorganismes de leur rumen et les aident à survolter les protéines du lait. Un régime maison qui permet non seulement à ses quatre adolescents de caler des verres de lait à 5,9 %, mais aussi de créer sur place des fromages goûteux. Des pâtes molles, fermes et fraîches que le couple offre depuis trois ans à la ferme.
Comme si toutes les activités que mène de front la chercheure, productrice et mère de famille ne remplissaient pas sa vie jusqu’à ras bord, Annie ajoute que le couple développe, chaque année, un ou deux nouveaux produits. En ce moment, c’est une recette de dulce de leche au lait de jerseys de Saint-Nicolas qu’elle mijote. Avec du caramel velouté dans le toupet, encore heureux qu’elle puisse compter sur un robot de traite, un lave-vaisselle et des assistants de laboratoire pour refaire ses forces jour après jour.