Les recettes de la ruralité
Au Québec, durant la crise de la COVID, combien de fois n’avons-nous pas entendu dire que nos approvisionnements alimentaires étaient menacés ? Dans les faits, certains ont peut-être manqué de papier de toilette, mais personne n’a connu la famine. Le système a très bien résisté à l’explosion planétaire du virus. Cela n’a pas empêché plusieurs de soulever un débat sur l’autonomie alimentaire, voire sur l’autosuffisance alimentaire.
Patrick Mundler en connait un bail sur les problématiques concernant l’agriculture. Détenteur d’un doctorat en sciences économiques de l’Université Lumière Lyon 2, il a enseigné à l’Institut supérieur d’agriculture Rhône-Alpes avant d’y diriger pendant douze ans le département de sciences sociales et de gestion. Au Québec depuis 2013, le professeur titulaire en développement rural tient les rênes du département d’économie agroalimentaire et des sciences de la consommation de l’Université Laval.
À ses yeux, l’autosuffisance est illusoire. S’il est très bien de cultiver ce que l’on consomme, il faut tout de même être conscient que cette indépendance ne peut se faire sans l’importation massive de machinerie, de semences, de fertilisants et d’une main-d’œuvre étrangère de plus en plus importante. Les recherches qu’il mène portent justement sur le rôle que l’agriculture devrait jouer sur le territoire, tant sur le plan économique, écologique que social.
Patrick Mundler estime qu’en plus de servir à nourrir les gens, l’agriculture doit aussi veiller à aménager et à occuper le territoire, à produire du bien social dans les communautés rurales et à prendre soin des ressources naturelles, du sol. Il croit que cela ne peut se réaliser qu’en reconnaissant les savoirs et les pratiques des agriculteurs et des communautés locales. Il importe également de faire la promotion de l’agroécologie et de la biodiversité.
Ce Suisse d’origine qui avait brièvement entamé sa vie professionnelle en élevant des chèvres pour concocter une petite production de fromage à forte valeur ajoutée est convaincu qu’il faudrait échapper à la logique marchande de la compétition et des modèles industriels productivistes.
« Si vous voulez avoir une agriculture sur des territoires qui n’ont pas forcément tous les avantages agroclimatiques et que vous cherchez à les rendre les plus compétitifs du monde, elle va disparaître. Elle va tellement se spécialiser qu’il n’y aura plus de diversité. Pour avoir une vitalité sociale sur l’ensemble du territoire national, des paysages diversifiés et une agriculture qui utilise bien les ressources environnementales, il faut se donner des politiques qui vont protéger la profession et ceux qui l’exercent. »
D’un point de vue socio-économique, M. Mundler constate que les fermiers se sont engagés dans une fuite en avant. Ils doivent constamment produire plus et agrandir leurs installations pour ne pas se retrouver à la traîne d’une course qui s’est emballée. Hélas, ce marathon ne permet pas forcément de gagner mieux sa vie. Aussi, le professeur souhaiterait que l’on puisse ralentir un peu le mouvement afin de promouvoir un modèle qui préserve nos ressources en plus de nourrir les gens.
Cette spirale du prix des fermes et des terres engendre un immense problème pour la relève. En plus d’en rendre l’achat prohibitif, ceux qui parviennent malgré tout à prendre possession d’un lopin sont forcés d’en rembourser l’hypothèque à l’intérieur de 20 ou 30 ans. « Moi, je pense que pour favoriser la reprise agricole, il faudrait voir la terre autrement que comme une propriété individuelle. » En Suisse, raconte-t-il, les hypothèques pour les terres s’étalent sur 100 ans et passent d’une génération à l’autre. « Même que l’agriculteur ne paie que les intérêts sans s’acquitter du capital. Et ça continue comme ça de génération en génération. »
Un coup parti, Patrick Mundler souhaiterait bien qu’un système de pension de retraite intéressant soit instauré pour les cultivateurs qui sont en âge de déposer la fourche. Si la terre ne constituait plus le fonds de pension, elle pourrait demeurer dans la famille ou être louée à long terme à des fermiers désireux de prendre la suite. « C’est peu fréquent au Québec, mais des baux de carrière ou emphytéotiques, ça se fait en Europe et c’est profitable. » Parions que plusieurs aimeraient bien qu’il puisse être prophète dans son pays d’adoption !