L’amour du terroir
On dit que l’être humain est influencé par les conditions dans lesquelles il arrive au monde. C’est indéniable, mais certains impressionnent par leur détermination à défier leur destin originel. Aisha Issa en est l’incarnation vivante. Née au Niger, dans cette culture sahélienne où seule une fille sur deux va à l’école primaire et une sur 50 au lycée, la jeune Niaméyenne a vite cherché à s’épanouir intellectuellement. Mieux. Elle choisira un milieu encore principalement constitué d’hommes pour atteindre son idéal, soit profiter de son passage sur Terre pour contribuer à un monde meilleur.
Débarquée à l’Université Laval en 1992, Aisha, fille du désert assoiffée de connaissances, engrangera tour à tour un bac en administration des affaires, une maîtrise en science — économie rurale et agroalimentaire et un doctorat en génie industriel et mathématiques. Dans ses temps libres, pour bien s’imprégner de son nouveau territoire, la doctorante s’est mise au ski de fond dans le parc Val-Jalbert, au trekking au parc national de la Jacques-Cartier. On l’a vue faire du pouce entre Québec et Percé et s’initier au vélo de montagne. Dring ! Dring ! Attention, les Boys ! Je monte !
Devant tant d’audace et d’adaptabilité, qui se surprendra qu’en 2021, elle ait été nommée directrice générale de l’Institut de technologie agroalimentaire du Québec (ITAQ). La multidiplômée avait laissé sa marque partout où elle était passée. Elle a, entre autres, occupé les postes de directrice générale du Conseil des industries bioalimentaires de l’île de Montréal, puis de responsable pour toute la province de capitaux de risque pour l’industrie agroalimentaire au sein de la Société générale de financement du Québec. C’est sans compter qu’elle a été présidente de Nutrisco et de Valhorizon, cabinet spécialisé en valorisation des données dans les domaines de la gestion des matières résiduelles, de l’efficacité énergétique, de l’écoconception et du développement durable.
Avec des campus à La Pocatière et à Saint-Hyacinthe, l’ITAQ est l’unique institut dédié à l’agroalimentaire au Québec. Aisha Issa dirige le vaisseau amiral qui, fort de quelque 300 personnes sur le pont, reçoit 1000 élèves par année, en plus d’accueillir près de 2 000 participants à des activités de formation continue. Mais la mission qui lui a été confiée par le gouvernement caquiste est plus vaste encore. Outre la bonne marche des laboratoires, fermes et usines-écoles de transformation alimentaire, la directrice doit veiller à la mise en œuvre du volet formation du Plan d’agriculture durable 2020-2030.
« L’Institut fait de la recherche, réalise des activités de transfert de connaissances et instaure des pratiques agroécologiques pour améliorer la santé des sols et adapter le secteur à l’urgence environnementale et climatique. » Mme Issa estime qu’il est essentiel de repenser le mode de production industrielle qui a eu des effets néfastes. « Il faut lancer et opérer un changement de culture par le biais des formations. On doit soutenir la relève qui peine à trouver les capitaux pour se lancer. Il est aussi urgent que les entreprises de l’agroalimentaire prennent un vrai virage numérique en utilisant pleinement les données dont elles disposent souvent sans le savoir. »
La directrice générale explore d’autres modèles pour permettre une pluralité de productions et modifier les façons de travailler. Même des professionnels en architecture et en ingénierie sont sollicités pour réaliser des projets d’investissement tant en production qu’en transformation. Elle a également amorcé un retour sur l’échiquier international. Elle rentre justement d’Europe où une entente-cadre vient d’être signée avec le ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire de France. L’ITAQ développe aussi des relations avec des pays d’Afrique francophone et a même fait une petite incursion en Amérique du Sud.
Mais, au fait, pourquoi diable Aisha Issa a-t-elle choisi de suivre la piste de l’agroalimentaire ? C’est que, voyez-vous, la datte ne tombe jamais loin du palmier. Enfant, elle se souvient du troupeau de zébus de sa grand-mère qu’elle amenait au pâturage durant ses vacances au village. Aisha n’a pas oublié non plus que même dans la capitale où elle habitait, ses parents avaient des moutons et quelques poules qu’elle plumait pour le repas du dimanche.
Et puis, on ne le cachera pas. En travaillant sur la question agropastorale dans la Corne de l’Afrique, son père, économiste pour la Banque africaine de développement, a semé une petite graine. Une graine que le simoun, ce vent brûlant du désert, a charrié jusqu’au blizzard qui souffle sur notre territoire. La Nigérienne y a trouvé le terreau si fertile qu’elle y a pris racine au point de devenir Québécoise de souche, d’en adopter l’accent et d’y fonder famille. Ça allait presque de soi. « Après tout, dit-elle, avec leurs climats extrêmes, les deux pays se ressemblent ! »