Le fier Charlevoyou
Croyez-le, croyez-le pas, l’histoire des Dufour a commencé il y a 350 millions d’années. En cette ère des Poissons, une météorite de deux kilomètres de diamètre et de 15 milliards de tonnes a fondu sur la région de Charlevoix à une vitesse de 36 000 km/h. Les montagnes ont littéralement explosé dans l’arrière-pays, laissant un cratère de 56 km qui, tranquillement pas vite, mettra la table pour Maurice et Francine. Il y a 25 ans, en véritable pionnier, le couple a mitonné sa gamme de fromages fins Migneron sur des parcelles typiquement charlevoisiennes : trop petites pour soutenir de gros troupeaux, mais suffisamment riches pour donner libre cours à la créativité et élever Alexandre et Madeleine, leur précieuse relève.
Au téléphone, Alexandre Dufour nous parle de leur maison d’affinage qui emploie 25 personnes. D’entrée de jeu, il aborde la notion de la valorisation des matières premières que leur a transmise son père. Un principe qui va de pair avec celui de la diversification qu’ils ont toujours souhaité pousser plus avant.
En partenariat avec un producteur d’Abitibi venu s’installer dans le coin avec ses brebis laitières, près de 150 têtes bouclées se sont alliées aux vaches de la région pour fournir un lait du terroir qui donne un peu moins d’une centaine de tonnes de ces fromages affinés voués à la grande distribution aux quatre coins du Québec et… jusque chez Costco !
En 2009, dans ce coin de pays où l’on compte tout juste 900 degrés-jours de croissance, la diversification et la valorisation de leurs lopins de terre ont pris la forme d’un vignoble. Après tout, existe-t-il un produit qui se marie mieux aux fromages ? La voie de la facilité n’étant manifestement pas dans l’ADN familial, la vigne sera biologique ou ne sera pas. Principalement du muscat 100 % d’ici dont le bouquet se propage aujourd’hui sous forme de 10 à 15 000 bouteilles de blanc ou de rosé par an !
Le respect de l’environnement et la revalorisation du lactosérum étant non négociables, en 2016, Alexandre et sa sœur Madeleine ont jeté les bases de leur distillerie en récupérant ce résidu de la production fromagère. Grâce à leurs talents d’alchimistes, ils l’ont transmuté en Charlevoyou. Cette eau-de-vie de petit-lait est leur « vodka » bien à eux. Et ils en revendiquent fièrement la paternité.
« Nous sommes les premiers au pays à recycler le petit-lait de cette façon. Il n’existait pas de recette préétablie. Nous avons monté le projet de A à Z et l’Université Laval nous a aidés à développer le processus. Au cours des prochaines années, notre cheval de bataille sera une solide mise en marché de nos spiritueux. Déjà cette année, nous devrions pouvoir commercialiser près de 1 000 bouteilles sur les tablettes de la SAQ. Et ça va aller en augmentant. »
Fort d’un bac en administration, Alexandre s’occupe, entre autres, du volet développement de l’entreprise, tandis que Madeleine veille sure la distillerie et la boutique qui représente tout de même 30 % de leurs revenus. En fignolant chaque détail des opérations et en rentabilisant jusqu’à l’ultime goutte ses précieux liquides, il y a matière à créer d’autres petits miracles.
Le passionné de 31 ans affirme avoir encore quelques cartes dans sa manche. Déjà, un gin de petit-lait issu d’un alliage de plantes nordiques et d’eau de leurs montagnes a récemment vu le jour. Et grâce aux champs qui ne sont toujours pas exploités, Alexandre peaufine son rêve de planter des pommiers et de faire pousser du seigle pour développer des gammes alcoolisées. Projets enivrants, s’il en est !
Crédits photos: C’est beau studio