Le dernier rempart
Avec sa crinière de laine d’acier tenue en bride par une queue de cheval ramassée en chignon, Dominic Lamontagne a l’allure d’un percheron qui rue dans les brancards. Pas du genre à mettre la charrue devant les bœufs, ce fermier autodidacte s’acharne à dessoucher les interdits agricoles québécois qu’il qualifie d’absurdes.
Depuis qu’il a quitté Montréal avec femme et enfants pour s’installer, en 2009, à Sainte-Lucie, dans les Laurentides, Dominic se fait promoteur d’une agriculture écologique à petite échelle. Sur sa terre semée de roches et grande comme 30 terrains de football (42 acres), pas question pour lui d’imposer à l’écosystème une pression animale déraisonnable et de dépendre d’intrants.
Pour contrer la concentration des fermes de plus en plus gigantesques, l’exode rural, la désoccupation du territoire, la fermeture des écoles, des épiceries, des restaurants et des petits abattoirs, il n’en démord pas. Il réclame le droit pour les fermiers-artisans d’exploiter des fermettes cent fois moins grosses que la norme. Il se démène pour que ceux-ci puissent élever deux vaches, 200 poules pondeuses et 500 poulets sans devoir être forcés de passer par le système des quotas prohibitifs. Il revendique aussi de pouvoir les abattre, les transformer et de vendre sur place leurs surplus. En deux mots, Dominic veut faire des plus petites unités de fermes vivrières le dernier rempart d’une agriculture rurale polyproductrice.
Il y a sept ans, révolté contre l’impossibilité de vendre ses œufs au marché, son lait cru sur la ferme, de détenir ne serait-ce qu’une seule vache laitière ou 100 poules sans payer les ruineux quotas, Dominic a pondu La Ferme impossible. Son réquisitoire contre les lois liberticides cherchait à faire entendre raison aux autorités politiques, aux puissantes fédérations monopolistiques et à tous les intervenants qui ont un rôle à jouer dans les normes liées à la production alimentaire.
Depuis lors, le fondateur de la conserverie En pleine gueule s’est transformé en militant. Il est devenu un porte-voix pour les fermiers-artisans qui souhaitent contrôler toutes les étapes de la production : de la reproduction à l’élevage, de l’abattage, à la transformation et à la vente du fruit de leur labeur. Il intervient dans les conférences, à la télé comme à la radio, publie dans les médias, produit une série télévisée avec Amélie Dion, son épouse, signe la préface de Rapailler nos territoires, ce plaidoyer de Stéphane Gendron pour une nouvelle ruralité du 21e siècle et bien d’autres choses encore.
Dominic a récidivé avec la publication d’un deuxième livre. L’artisan fermier est en somme une bible destinée aux petits producteurs qui voudraient se lancer dans cette aventure pour en vivre sans s’endetter. En novembre, il nous promet un troisième livre. Il s’agira, cette fois, d’un débat avec des véganes qu’il accuse de descendre dans la rue en prétendant que la viande ce n’est pas de la nourriture, mais de la violence et de la souffrance animale. Ça promet !
« Ne me parlez pas de terroir et de gastronomie au Québec quand on m’interdit d’acheter du poulet abattu à la ferme et de la crème fraîche. On ne veut pas revivre les Belles Histoires des pays d’en haut. On demande que l’on nous redonne notre liberté ancestrale de faire le commerce des produits de nos fermes. La loi des marchés agricoles a favorisé les producteurs de monocultures au détriment de la ferme artisanale. Ça nous est impossible de rentabiliser une ferme sous gestion de l’offre en achetant le quota à sa valeur marchande. Personnellement, je ne désire pas vendre mon poulet entier. Je veux le rôtir, le couper en quatre et faire quatre assiettes à l’occasion d’une fête champêtre. L’idée, c’est d’aller chercher la plus-value qu’il y a dans la transformation du produit brut. Je vois mes 300 poulets hors quota comme 1200 repas. »
La lutte acharnée que mènent Dominic Lamontagne et d’autres militants n’est toutefois pas vaine. Le père de deux enfants admet que sous André Lamontagne, ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation, il y a enfin une ouverture. Début juillet, nous apprenions qu’en août, un petit abattoir à Saint-Joachin de Shefford (Montérégie) allait pouvoir offrir des services d’abattage de volatiles élevés au pâturage. Une première pour une coopérative de solidarité québécoise. Dominic participe lui aussi à un projet-pilote qui lui permettra d’abattre et vendre ses poulets à la ferme. Dans un deuxième volet du projet-pilote de quatre ans, il lui sera aussi permis d’y vendre des produits alimentaires faits à base de lait cru, autre que du lait de vache.
En théorie, dès l’automne, le barbu de 46 ans pourrait mettre en marché à la ferme ou dans un marché public son foie, son gésier et son confit de volaille. Mais il préfère, cet été, se concentrer sur la légalisation du processus en travaillant sur un guide des bonnes pratiques. Cela permettra aux intéressés de savoir dès la deuxième année du projet-pilote à quoi s’attendre au niveau des normes.
Même s’il sait qu’il y aura plein d’autres problèmes à résoudre, en bout de piste, il compte avoir trouvé des façons de réaliser des abattoirs pour 5 ou 10 000 $. A-t-on besoin de vous dire qu’il entrevoit une véritable révolution de la table champêtre ?