L’harnacheur d’effluves
Certains pourraient se poser la question. Stéphane Godbout a-t-il, oui ou non, été influencé par la chanson Tout écartillé ? Souvenez-vous. Le hit de Robert Charlebois raconte la folle aventure d’un gars qui étudie le béton précontraint à Paris avant de s’apercevoir que la Ville lumière « n’est pas [son] étable » ? L’histoire ne le dit pas. Quoi qu’il en soit, en 1983, captivé par la nature, l’environnement et les bâtiments de ferme, le jeune homme s’est inscrit en génie rural à l’Université Laval. Il sortira du campus 13 ans plus tard bardé d’une maîtrise en génie agricole et d’un doctorat en génie civil sur les structures d’entreposage en béton.
À cette époque, Stéphane aura déjà bonifié les méthodes de calcul et les charges à retenir pour les réservoirs en béton armé. Question de se perfectionner davantage, ce n’est pas à Paris, mais bien plutôt au Silsoe Research Institute (Angleterre) que l’ingénieur patenté se rendra en 2002-2003. Il y développera une première génération d’un nouvel échantillonneur passif destiné à mesurer des émissions de gaz à effet de serre. On ne sera pas surpris, à son retour au bercail, qu’il soit sacré Jeune ingénieur de l’année par l’Association québécoise des ingénieurs en agroalimentaire dont il est devenu le président depuis 2017.
Stéphane Godbout turbine depuis 20 ans au sein de l’Institut de recherche et de développement en agroenvironnement (IRDA). C’était presque écrit dans le ciel qu’en s’intéressant aux bâtiments agricoles, le scientifique s’attaquerait aux stratégies d’élevage et de gestion des déjections animales.
Il n’a d’ailleurs pas attendu que le concept de carboneutralité et de réduction des gaz à effet de serre soit dans la bouche de tous les politiciens pour développer des traitements des fumiers et lisiers. Grâce aux travaux de recherche qu’il a réalisés, il sait, par exemple, qu’en optimisant la fréquence de raclage des sous-fosses des porcheries, il est possible d’en diminuer les émanations d’environ 30 %. Stéphane a, par ailleurs, contribué à concevoir des laboratoires mobiles destinés à évaluer les émissions gazeuses et odorantes des bâtiments d’élevage.
Stéphane Godbout détient aussi des brevets pour un réacteur vertical à vis sans fin qui permet de convertir des résidus organiques en biohuile. Son système de décomposition chimique par le feu et en absence d’oxygène fonctionne également avec les plastiques dans lesquels on emballe les bottes de foin. Une partie des produits ainsi soumis à la pyrolyse se transforme en biocharbon capable de séquestrer du carbone. Le reste prend une forme gazeuse qui, sous l’effet d’une condensation, devient un carburant qui peut être mélangé au diesel.
« Mon défi principal est de travailler pour réduire le plus possible la pollution à la source. Parce qu’une fois que c’est dans l’air, c’est pas mal plus compliqué et beaucoup plus cher à résoudre. Prenez simplement le cas de l’ammoniac dans les bâtiments d’élevage. Plus un sol est humide en raison des déjections, plus il y a d’ammoniac. Mais quand on sèche le plancher, on se retrouve avec plus de poussière en suspension, ce qui crée un autre problème. Je suis en quelque sorte un jongleur qui doit trouver le juste milieu. Ce n’est pas simple. »
Le récipiendaire du John Turnbull Award (2010) pour sa contribution le domaine de la construction agricole et de la gestion des déchets soutient que l’avenir de cette dernière passera par la séparation des déjections. L’azote qui se retrouve en majorité dans la partie liquide pourra être entreposé dans des caves souterraines, tandis que le phosphore contenu dans la fraction solide sera exploité au maximum dans les champs en raison de ses propriétés fertilisantes.
En attendant que le bonheur soit dans le pré, le Beaupréen sait fort bien qu’il lui faudra continuer de ruer dans les brancards pour développer de meilleures pratiques en agroenvironnement. Et il suffit d’écouter l’homme à la sempiternelle queue de cheval parler de sa passion débridée pour comprendre qu’il conserve toute l’énergie d’un poulain fringuant.