La femme qui carbure au bio
Ce n’est pas parce que nos parents et nos grands-parents ont enfoncé leurs racines dans le sous-sol de Montréal-Est qu’on est forcés de rêver de raffinage de pétrole ou d’usines chimiques. Oh, que non ! Demandez-le à Carole-Anne Lapierre. Adolescente mordue d’équitation, elle pouvait passer tous ses temps libres à l’écurie, faire les foins, se lever la nuit pour accompagner le vétérinaire pour les échographies, les inséminations, les euthanasies. Elle souhaitait devenir fermière. Puis les sillons de la vie se sont chevauchés.
Aujourd’hui à l’emploi d’Équiterre, l’analyste en agriculture et en systèmes alimentaires rappelle son parcours. À l’aube de la vingtaine, aussi titillée par la politique et la coopération, Carole-Anne entreprend à l’UQAM un baccalauréat en droit et relations internationales. En 2008, pendant ses études, un stage d’initiation de Québec sans frontières la catapulte en Bolivie où elle découvre un village quechua de l’ancien Empire inca. Elle y mène un projet pour permettre aux campesinos qui pratiquent une simple agriculture de survie d’y ajouter une notion de mise en marché de leur production. C’est aussi là qu’elle fait la rencontre d’un vieil agronome bolivien. Il lui donnera le goût d’investir ce champ à l’Université McGill.
De plus en plus intéressée par le monde des plantes, Carole-Anne a travaillé sur des exploitations maraîchères bio. Elle souhaitait, entre autres, mieux comprendre la santé des sols, le terreau en tant qu’essence de notre agriculture. Elle a même désiré devenir une agricultrice non apparentée sur une ferme biologique. Mais on le sait, les obstacles sont nombreux sur la route de ceux et celles qui se portent volontaires pour prendre la relève. Et encore davantage pour une maman monoparentale de deux toutes jeunes filles. Le morceau était alors trop gros.
Membre de l’Ordre des agronomes depuis 2012, Carole-Anne s’est alors tournée vers l’agriculture urbaine. Et ce n’était pas par dépit. À preuve, on lui doit d’avoir fondé la Société d’agriculture urbaine de Longueuil. Elle a été la première directrice générale de cet organisme à but non lucratif dont la mission consiste, entre autres, à remettre la saine alimentation au cœur de la vie des gens et à transmettre des connaissances agricoles dans les milieux scolaires et communautaires.
Et puisqu'elle n’a jamais craint d’embrasser large, Carole-Anne n’a pas hésité à suivre les traces de son grand-père. En 2021, elle s’est portée candidate à titre de conseillère municipale. Pas à Montréal-Est, comme son aïeul, mais à Longueuil. Elle habitait justement devant le parc Michel-Chartrand, source de l’interminable controverse des cerfs dont il fallait déterminer le sort. Écologiste convaincue, mais consciente des dommages causés par ceux-ci, elle avait fait son choix. Et ce ne sont pas les menaces à l’encontre de la mairesse de l’époque qui l’auraient empêchée de faire le saut.
Soit, elle n’a pas été élue, mais cela n’a pas eu raison de son implication dans la sphère municipale. En 2022, la jeune femme de 37 ans siège au comité consultatif en environnement de Longueuil. Avec ses collègues, elle analyse et formule des recommandations pour les plans de conservation des milieux naturels et de réduction des GES.
Cela fait maintenant deux ans que Carole-Anne Lapierre investit ses talents et ses connaissances au profit d’Équiterre qui remue ciel et terre pour influencer l’ensemble des décideurs politiques et sensibiliser la population face à l’urgence environnementale.
« Depuis le printemps dernier, je mets beaucoup d’énergie à former l’Alliance SaluTerre, une coalition d’organisations provenant des milieux agricole, environnemental et de l’aménagement pour accroître la protection des terres et des activités agricoles. On sent que le ministre Lamontagne est engagé et qu’il y croit. Mais en haut lieu, ce n’est pas vu comme prioritaire. On veut changer ça. Il faut empêcher la perdition de terres, protéger les superficies et s’assurer que la relève puisse s’établir. »
Au sein de l’équipe des relations gouvernementales, Carole-Anne s’occupe à la fois des paliers provincial et fédéral. Elle analyse les politiques publiques, fait un travail d’influence, œuvre sur des mémoires, élabore des recommandations prébudgétaires et organise des relations médias. Dans l’opinion publique, il semble bien que le sujet des terres agricoles ne laisse pas indifférent. Selon un sondage Léger, 74 % des personnes interrogées estiment que la protection des terres agricoles est une question urgente. Pas moins de 71 % souhaiteraient que l’on pénalise les promoteurs qui spéculent et 87 % seraient d’accord pour que des mesures de soutien financier soient offertes pour la relève.
L’environnementaliste qui milite pour une société écologique et plus juste finalise un mémoire qui servira à participer à la consultation nationale sur le territoire et les activités agricoles que le MAPAQ a lancées en juin dernier.
Carole-Anne avoue que chaque année, en début de saison, l’appel de la terre refait surface. Qui sait si un jour, on ne la retrouvera pas au volant d’engins ruraux dont il lui arrive de s’ennuyer. Elle sera encore suffisamment jeune pour réaliser son rêve d’adolescence.