Le fossoyeur de CO2
La dernière fois que vous avez vu un de vos chums, il mesurait 6 pieds 3 et pesait 250 livres. Vous le croisez quelques années plus tard, maigre comme un clou. « Wouppelai !, pensez-vous, il a vraiment besoin de se remplumer ! » Au cours du dernier siècle, nos terres ont aussi drôlement perdu du poil de la bête. Plus de la moitié du carbone qu’elles renfermaient s’est échappé suite à l’intensification des pratiques agricoles. Cette déperdition a généré presque autant de gaz à effet de serre que toutes les énergies fossiles durant la même période.
Préoccupé depuis longtemps par les changements climatiques et l’appauvrissement des sols, l’agronome Jacques Nault a cofondé Logiag avec son frère Charles. C’était en 1999. Au cours des dix dernières années, leur entreprise a, entre autres, développé une technologie révolutionnaire qui vient de lui valoir un premier prix dans le cadre d’un concours international lancé par le groupe américain Indigo Ag. Une superbe distinction quand on sait que 250 compagnies provenant de 44 pays se disputaient cette première place.
Grâce à son système LaserAG, un appareil ultrasophistiqué de 500 kg et gros comme une machine à laver, il est désormais possible non seulement d’évaluer en moins d’une minute la composition d’un sol (potasse, calcium, phosphore, sélénium, etc.), mais également la quantité de carbone qu’il contient. Pour faire parler les échantillons de terre prélevés sur le terrain, on les bombarde par rafales de 100 pulsions laser par seconde. Cela excite des électrons, fait grimper leur température à 20 000 °C, crée un plasma et permet d’intercepter des photons qui finissent par cracher les informations recherchées.
Il aura fallu dix ans d’efforts pour mettre au point cet ingénieux système qui allie la spectroscopie induite par laser, un bloc optique précis au millionième de mètre et la puissance phénoménale des algorithmes. Avec l’aide du CNRC de Boucherville, l’Institut national d’optique (INO) et le Centre de recherche informatique de Montréal (CRIM) et sa propre équipe de chercheurs, Jacques Nault est parvenu à atteindre un niveau de précision que seul un laboratoire chimique peut offrir bien moins rapidement et à un coût incomparablement plus élevé. « Dans une journée de huit heures, raconte Jacques Nault, un opérateur peut faire 500 analyses complètes sans produits chimiques et sans aucun risque d’erreur humaine. »
Sachant que l’agriculture est responsable de 10 % des émissions de GES, on comprend la raison qui a poussé l’agronome de 60 ans et toute son équipe à déployer autant d’efforts. « En plus de pouvoir réduire sa production de gaz carbonique, l’agriculture est la seule industrie capable d’emprisonner du CO2 qui se trouve dans l’atmosphère. Nous pouvons absorber dans nos sols jusqu’à trois fois plus de gaz à effet de serre que nous en émettons. » Des études prouveraient en effet que chaque acre de terre agricole pourrait emmagasiner sous forme de matière organique de 13 à 26 tonnes de carbone qui se baladent aujourd’hui dans l’air de notre planète qui étouffe.
Indigo Ag ambitionne de séquestrer un trillion (mille milliards) de tonnes de carbone dans les sols au fil des années. Jacques qui vit à un jet de pierres de la frontière américaine souhaite que l’entreprise qui a primé son invention en commande un grand nombre pour parvenir à ses fins.
« Indigo a trouvé la technologie qui lui convenait. Elle peut encourager les agriculteurs à séquestrer le carbone dans les sols. De son côté, elle pourra graduellement profiter des crédits carbone que cela générera. »
S’il a grandi sur l’asphalte de Montréal, Jacques a toujours su qu’il ferait carrière en agronomie. Pas question pour lui, donc, d’attendre ce prestigieux prix pour s’activer. Fort d’une maîtrise en agriculture écologique obtenue en 1991, il a développé avec d’autres collègues des formations sur la fertilisation intégrée. Auprès d’environ 150 de ses clients agriculteurs, il dressait des diagnostics, faisait des recommandations et la promotion de la culture sans labour, de la culture continue et des quantités optimales de fumier à déverser sur les sols. Il s’agissait en quelque sorte d’un Plan agroenvironnemental de fertilisation (PAEF) avant l’heure.
Moins de deux ans après le lancement de son entreprise, Logiag comptait 1500 clients. Aujourd’hui, grâce au réseau développé avec d’autres firmes, 6 000 agriculteurs peuvent profiter de sa base de données. « Nous nous assurons que les recommandations respectent le Règlement sur les exploitations agricoles et les règles de lois agronomiques. »
Au fil des ans, l’offre de Logiag s’est étendue. Elle compte un département de services, de génie, d’informatique, de matières résiduelles fertilisantes et, bien sûr, celui des analyses de sol qui a permis de développer le LaserAg.
Si bien qu’aujourd’hui, on peut dire qu’au siège social de Châteauguay, l’environnement est très sain. Le vice-président agronomie de Logiag pourrait même lancer haut et fort : « Emmenez-en du dioxyde de carbone ! On en mange ! ».