Le goût de la terre nourricière
C’est simple. Durant sa jeunesse, Marie-Élise Samson était littéralement passionnée d’équitation. La jeune fille originaire de Saint-Nicolas passait tous ses étés à un centre équestre. Le reste de l’année, ne lui demandez pas ce qu’elle faisait de ses fins de semaine. Elle galopait. À 19 ans, partie travailler en Australie sur une exploitation bovine, elle est rattrapée par les effluves d’écuries et trouve le tour d’y entraîner des chevaux de polo. Sans s’en rendre vraiment compte, Marie-Élise chevauchait déjà son avenir. Bien en selle sur ses montures qui sont aussi de magnifiques usines à engrais, elle se préoccupera bientôt de la qualité des sols.
Inscrite en agronomie à l’Université Laval, c’est en suivant le cours Genèse et classification des sols qu’elle aura le coup de foudre. Fascinée de découvrir sous ses pieds toutes les interactions des processus à la fois chimiques, biologiques et physiques, Marie-Élise s’investira dans le domaine et décrochera la très prestigieuse bourse d’études supérieures du Canada Vanier pour ses travaux de recherche sur le cycle de la matière organique dans les sols agricoles. Après tout, 95 % de ce qu’on mange en provient.
Aujourd’hui, celle qui donne le cours qui l’a fait tomber en amour avec le terreau est préoccupée par le sort que l’on a réservé à cette richesse inestimable. Au cours des dernières décennies, l’agriculture intensive et la machinerie de plus en plus lourde ont gravement altéré les sols. Si bien que sur la planète, 30 % des terres arables sont mal en point et on constate un déclin de productivité sur 20 %. Et quand on sait que ça prend entre 100 et 1000 ans pour recouvrer un seul centimètre de sol…
« À force de cultiver, si on ne se préoccupe pas de redonner de la vie aux sols, ils s’appauvrissent. Nos modes de production en monoculture intensive ainsi que la révolution verte ont fait en sorte que 25 % des surfaces cultivées au Québec ont moins de 4 % de matière organique, un seuil inquiétant. Ce n’est pas une ressource renouvelable. Quand on produit des aliments, les éléments qui vont dans la plante ne retournent pas au sol. Si on ne fait qu’extraire année après année, le système s’épuise. »
La jeune chercheuse de 34 ans ne désespère pas pour autant. Elle ne blâme pas non plus les agriculteurs en compétition avec des denrées qui viennent d’un peu partout. Elle sait bien que la rentabilité est au cœur de leurs préoccupations et que changer de pratiques quand on a toujours fait les choses d’une certaine façon comporte des risques.
Pour assurer la durabilité et la résilience de nos systèmes agroalimentaires, Marie-Élise Samson estime que les changements doivent impliquer plusieurs acteurs. Si elle reconnait qu’il y a encore trop peu d’étudiants en agronomie qui choisissent de se spécialiser en gestion des sols, elle déplore l’absence d’internalisation des coûts sociaux et environnementaux à la production. Elle prédit même que les pays qui feront attention à cette ressource précieuse vont bénéficier d’un gros avantage face aux sécheresses et aux inondations à venir.
Ce n’est pas pour rien qu’elle continue inlassablement à remuer ciel et terre pour percer les mystères de la biogéochimie. En jonglant avec la composition granulométrique, la structure, les agrégats, les macropores, l’échange des gaz, l’infiltration et la rétention de l’eau et les stocks de biodiversité, Marie-Élise entend trouver des pratiques culturales qui permettront de maximiser la quantité de carbone séquestré dans le sol. En deux mots, un sol gorgé de CO2 est un garde-manger en santé. Il en va du ventre de l’humanité.