Le charmeur de lumière
Il a vu le jour l’année où le prototype du vaisseau spatial Apollo était lancé, le laser au dioxyde de carbone, inventé, le boson de Higgs et le modèle des quarks, découverts. 1964 ouvrait aussi tout grand la porte à l’imagerie par résonance magnétique et un Nobel de physique était décerné pour des travaux sur l’électronique quantique. Dragon, selon l’horoscope chinois, on aurait presque pu prédire qu’Alain Chandonnet allait un jour péter le feu. Chose certaine, le président-directeur général de l’Institut national d’optique (INO) était né sous une bonne étoile.
P’tit gars, ce fils de fonctionnaires rêvait d’astronomie. Le cosmos, le Big Bang, la lumière qui avait parcouru plus de 13 milliards d’années avant de consteller le ciel de Québec, sa ville natale. Tout ça l’envoûtait. Mais au moment d’entreprendre ses études à l’Université Laval, l’INO venait de naître et le Centre de recherches de Valcartier développait déjà les lasers les plus puissants au monde. Se découvrant une fascination pour la photonique et l’univers quantique, la science à la base des lasers, Alain troque l’astronomie pour la physique dans le domaine de l’optique. Il décrochera non pas encore la lune, mais son doctorat, puis un diplôme en administration des affaires.
Au fil des 30 années qu’il a passées dans la stratosphère de la haute technologie et de l’entrepreneuriat, Alain Chandonnet aura, entre autres, cofondé TeraXion et Handyem, des sociétés respectivement spécialisées dans les composants optiques pour les télécommunications haute vitesse et dans des appareils pouvant fournir des diagnostics médicaux en quelques heures à peine. À titre de président d’Optel Medevon, il a aussi veillé à innover en matière d’inspection et de traçabilité des dispositifs médicaux. Puis en 2017, celui qui avait débuté sa carrière à l’INO est approché pour y revenir et occuper le poste de p.-d. g.
« Au pays, la majorité des entreprises sont des PME. Elles ont rarement le savoir-faire et les moyens de développer un produit dont elles auraient grandement besoin pour améliorer leurs activités et leur productivité. Dans le domaine de la photonique et de l’optique, nous sommes en mesure d’opérer ce passage entre une découverte de laboratoire universitaire et un industriel qui a l’expertise pour la manufacturer. »
La science de la lumière est un monde infiniment vaste. Couplée avec l’électronique et l’intelligence artificielle, la photonique pulvérise les frontières. La société que dirige Alain Chandonnet est très active dans les sphères de l’industrie spatiale et de la sécurité. À titre d’exemples, le large spectre électromagnétique de la lumière le rend indispensable tant pour les caméras destinées à l’espace que pour l’identification de substances dangereuses ou encore pour la détection précoce de feux de forêt. Dans le biomédical, les exemples ne manquent pas. Ainsi, pour les banques de sang, l’INO a mis au point un système de désinfection du sang basé sur la lumière ultraviolette. Le laser est aussi utilisé dans le cadre de la chirurgie de la hanche. Il permet un alignement d’une précision de niveau millimétrique et non plus de l’ordre du centimètre.
L’agriculture n’y échappe pas. Fort d’une équipe de 215 personnes dont 70 % possèdent des formations techniques avancées, l’INO travaille à pallier la pénurie de main-d’œuvre en se concentrant sur la vision robotique pour assurer les récoltes. Il s’est attaqué à la cueillette des brocolis et, en serres, à celle les concombres, des tomates et d’autres légumes.
Aux dires d’Alain Chandonnet, le défi était particulièrement important dans le secteur des champignons qui ont besoin de noirceur, de fumier et d’humidité. En plus d’être très fragile, de pousser vite et de devoir être cueillie à l’intérieur d’une plage très courte, la récolte est souvent compromise par un gros roulement de personnel. « On a développé une technique particulière de spectroscopie. L’appareil se promène au-dessus des étals et en analyse les propriétés physico-chimiques. Lorsqu’ils sont mûrs, un petit point au laser les marque. L’opérateur n’a pas besoin d’expertise. Tout ce qu’il a à faire, c’est de les ramasser. »
En agroalimentaire, l’analyse des sols est une autre réalisation qui fait l’orgueil de son entreprise. Après avoir remué ciel et terre avec Logiag et quelques partenaires, le système mis au point permet d’évaluer en moins d’une minute la composition d’un sol et d’optimiser l’épandage des engrais. Mieux. Grâce à la sophistication de l’appareil et à la puissance des lasers, le travail se fait désormais sans même que l’on ait plus besoin… de remuer la terre ! Pour ne rien gâcher, cette technologie de précision donne aux agriculteurs la possibilité de connaître la capacité de captation du CO2 dans son sol et de la monnayer à la bourse du carbone.
Dans la multitude de domaines auxquels s’est attaqué l’INO, plus de 6 500 solutions auront été mises en œuvre et pas moins de 75 transferts technologiques auront permis aux entreprises de bénéficier d’un avantage concurrentiel. À la vitesse à laquelle la lumière fonce dans la nuit du futur, ce n’est pas demain que le p.-d. g. de 58 ans voudra prendre sa retraite. Il a encore des années-lumière d’exploration devant lui.