L’alchimiste du terreau
La Terre salive déjà. Le chef cuistot a réuni tous les ingrédients et s’apprête à mitonner une recette vraiment pas piquée des vers. Assaisonné d’une généreuse quantité de ripe et de copeaux de planage riches en carbone, un beau gros cochon de 350 livres tourne lentement sur lui-même pendant quelques jours à une température variant entre 50 et 70⁰ C. Même sec et sans aucun jus de compost (lixiviat !), Paul Larouche sait que son « méchoui » très spécial fera un carton.
Le président de Brome compost inc. n’aura même pas besoin de surveiller la « cuisson » de son plat. Les milliers de milliards de bactéries thermophiles qui prolifèrent et dégagent la chaleur à l’intérieur des composteurs rotatifs qu’il a mis au point se chargeront de débarrasser la carcasse des agents pathogènes. Mieux. Ils la transformeront dans le temps de le dire en un humus de grande qualité pour amender les sols.
Originaire d’Abitibi-Témiscamingue, Paul a fait ses études en administration à l’UQAT. Puis, il y a 24 ans, il est débarqué sur le bord de la Yamaska. C’est le hasard qui l’a amené à faire de la consultation pour une entreprise de composteurs de Cowansville. De fil en aiguille, il est passé à la commercialisation, puis, à l’instar de la pub des rasoirs Remington des années 1960, il a tellement aimé le produit qu’il a acheté la compagnie en 2015.
Paul Larouche s’est d’abord spécialisé dans le compostage pour les mortalités dans l’industrie porcine et avicole. Puis, il a étendu son savoir-faire à d’autres types d’entreprises. Pensons aux biosolides des usines d’épuration municipales et au fumier de vaches. Dans ce dernier cas, par exemple, le compostage de fumier permet de produire une litière animale de qualité tout en réduisant la quantité d’excréments à gérer et les coûts d’achat pour la litière.
Il aurait été le premier à vendre un composteur à une épicerie au Canada. Puis à une université, avant d’attaquer les cafétérias des campements miniers. Tout y passe. Les restants de soupes, les pâtes, le steak, les patates, cartons et papiers souillés. Amenez-en des résidus alimentaires ! Avec ses équipements qui peuvent traiter des déchets de cinq tonnes par an jusqu’à des milliers de tonnes, le solide gaillard trouve des débouchés tant au Québec qu’aux États-Unis, au Nunavut, en Europe, en Amérique du Sud et même en Australie.
« Ici, pour les animaux morts, on peut recourir à l’équarrissage, mais avec les risques de transmissions de maladies, l’idée de laisser un camion passer de ferme en ferme pour ramasser les carcasses n’est pas du tout rassurante. L’enfouissement sur place est aussi possible, mais en hiver, ce n’est pas terrible, sans compter que cela cause un danger de contamination de la nappe phréatique. L’incinération aussi, c’est polluant. Avec le composteur, en revanche, je vous garantis que si vous y mettez un porc avec de la ripe, y’a des maudites bonnes chances qu’il ne sorte pas de l’acide à batterie à l’autre bout ! Et ça ne sentira rien. »
Au Québec, il sera bientôt interdit d’envoyer nos fruits et légumes dans les sites d’enfouissement. Même chose avec la viande. Tant les gouvernements que les citoyens doivent faire leur part pour réduire les gaz à effet de serre. Quand on sait que l’enfouissement produit du méthane, un gaz 22 fois plus polluant que le CO2 que dégage un composteur, le choix ne devrait pas être trop difficile à faire. D’autant plus que le compost qui valorise et enrichit les terres peut être fait en continu durant toute l’année. Et ça ne demande pas d’effort puisque pour moins de 100 $ d’électricité par année, le brassage des matières se fait automatiquement.
Le dirigeant qui a la cinquantaine bien sonnée n’est pas peu fier dire que tous ses composteurs, que ce soient les moteurs, les réducteurs de vitesse, les panneaux de contrôle et le reste sont entièrement fabriqués au Québec. Vous pouvez même recevoir les données et modifier les paramètres à distance.
L’entreprise qui compte cinq personnes à temps plein propose de l’analyse et de la planification de projets, du soutien logistique et de la formation à l’opérateur du composteur. Car, comme s’amuse à le raconter Paul : « Si tu achètes un fourneau pour chez vous, c’est-tu pour du faire pain ou pour faire un rôti ? Nous autres, on est les cuisiniers. Si tu veux faire du pain, on va te montrer à faire du bon pain. Même chose si tu veux faire du rôti. » En deux mots, il faut apprendre à composer avec le composteur!